dimanche 2 février 2020

Le bac sur le Scorff (1669) dans un roman historique

Catherine Vassart, sur la page fb lOrient vu par , a recopié soigneusement un extrait du roman historique de Charlotte Merle  intitulé « Ceux du Faouëdic ». 
Charlotte Merle, écrivaine lorientaise décédée en 1981, y  narre une traversée sur le bac au passage Saint-Christophe en 1669, entre Lorient et Lanester. 
On peut imaginer que le bac ressemble, peut-être, à celui photographié sur la Laïta et déniché par Daniel Faurie ?


En tout cas voici l'extrait du roman

«La brume se dissipe avec précaution. On commence à voir l’eau.
- Oh ! …Hé ! …
Le cri s’arrête. Quelque chose de gris semble bouger, en face, très lentement : une ligne, avec un balancier qui oscille vers le ciel. La masse grandit, noircit. Le bac tranquillement, vient prendre enfin ses passagers. Mais le passeur bougonne. « Pas idée de vouloir traverser à mer basse ! Et avec un cheval, encore ! »
Le bac, en effet s’arrête à trois coudées de la cale. D’une enjambée, Bihel et Bilzic sont à bord, mais Olichon, lui, tient son cheval au fin bout des moellons. Heureusement, il y a des planches à bord, que les paysans tendent pour la bête. Mais le passeur crie :
-N’appuyez pas là, le bac ne tient pas ! … Là non plus ! … Attendez ! Je vire … Non ! La planche est cassée ! … Attention à ton pied, toi, tu vas faire entrer l’eau dans le navire !
Le navire ! Déjà, bien des accidents, se sont produits, des bains forcés, des charrettes perdues, des bêtes empêtrées dans les brancards, des morts, même. On s’est plaint du passeur au seigneur, du seigneur au passeur : chacun d’eux veut de l’argent et rejette sur l’autre la charge des réparations. Traverser le Scorff est une aventure. On n’est jamais sûr d’en sortir vivant, même si l’on invoque le Saint Christophe qui domine les roches où l’on espère débarquer.
Enfin, tout le monde est à bord, même le cheval. Mais il faut payer avant de partir, de crainte d’accident : un sol pour les laboureurs, cinq pour Julien et sa bête, le prix de deux livres de pain.
Au ras de l’eau il fait frais. La brume dissipée, la rivière éblouit, du côté du soleil. A droite, on dirait un lac, tant elle s’élargit vers Saint-Trichau, un lac où se reflète le château de Trévafen Tréfaven que le prince de Guémené lais laisse à l’abandon, et dont les tourelles émergent des arbres, brillante brillantes encore d’humidité nocturne.
Le bac craque à chaque balancement. Le cheval souffle contre l’épaule de Julien, qui le flatte. Le passeur ahane. Les trois hommes, attentifs, gardent le silence, jusqu’au débarquement qui ne va pas sans cris, sans reproches.
Ne cassez pas les planches, bon sang !
- Si ton rafiot, était plus sûr !
- Oui ! Et si les cales se rejoignaient, tant que vous y êtes ! un pont, ça ne serait pas plus mal ! Mais de quoi je vivrais, moi ?
- J’ai payé assez cher ! Tant de livres à récupérer chaque année, et la famille à nourrir ! »