L'essentiel de cet article (Bulletin n°233 de la Société de Mythologie Française, décembre 2008) est consacré à l'épisode de la légende où Christophe porte un enfant au poids croissant. Vous trouverez ci dessous, un résumé de ce que j'ai cru comprendre, accompagné de commentaires qui n'engagent que moi.
Jean Loïc Le Quellec considère que l'épisode de la Légende de Saint Christophe où celui-ci porte un enfant qui s'alourdit ne s'est rattaché à la légende qu'au XIIième ou XIIIième siècle en reprenant des motifs éminemment populaires :
- le Bon Pasteur criophore (c'est à dire qui porte un mouton sur ses épaules), vainqueur de la mort et sauveur des âmes dont l'image est apparue sur les tombes chrétiennes dès le Ier siècle. L'auteur rappelle que Hermès lui aussi est parfois représenté portant un bélier... Cette représentation du Christ disparait ensuite du IVième siècle jusqu'à la Renaissance sauf...
- en Auvergne et en Charente, où dans une douzaine d'églises on peut retrouver des représentations (chapiteaux sculptés) où des personnages soufflant, tirant la langue portent sur leur dos des bêtes à laine aux dimensions disproportionnées sous lesquelles ils semblent obligés de plier les genoux. Les animaux y sont menaçants et Jean Loïc Le Quellec y voit l'animal merveilleux appelé "drac" en Auvergne, "drac" ou "draquet" dans les Pyrénées centrales et orientales, et "galipotes" ou "ganipotes" en Poitou-Saintonge...
Sur le thème folklorique de "l'être porté", Le Quellec semble considérer que ce motif est abondant dans un croissant qui va des Pyrénées jusqu'au pays flamands, en passant par le Centre, voir le Centre Ouest de la France...
Je pense que la collecte de Charles Joisten a du lui échapper en ce qui concerne les Alpes Françaises, et notamment le Dauphiné, où les attestations sont nombreuses et contemporaines : des êtres apparemment fragiles (agneaux, chats, oiseaux, bébés...), "ramassées" de nuit s'alourdissent, et se révèlent être le diable. On m'en a encore raconté, personnellement, une en l'an 2000 : le chat roux de Chateauroux à Sainte Agnès (38). A ce sujet, vous pouvez aller voir dans ce blog tous les articles libellés avec le mot fardeau... Et notamment tous ceux qui se réfèrent à la collecte de Charles Joisten sur les Êtres Fantastiques dans les Alpes.
... Petite remarque amusante : à Grenoble, le Drac se jette dans l'Isère... C'est son principal affluent.
Mais, trêve de bavardages, voici ce que racontent, d'après Jean Loïc Le Quellec, les récits poitevins (résumés) :
- La nuit, au voisinage des rivières ou des points d'eau, un promeneur, par exemple un jeune homme revenant de visiter sa "galande", rencontre un mouton ou une chèvre qui lui saute sur le dos. Il lui est impossible de se défaire de l'apparition qui pèse de plus en plus lourd et l'épuise... L'auteur de l'article précise que, comme en Catalogne, la rencontre d'une galipote est la plupart du temps fatale à son porteur et que, lorsque cet être disparait, il pousse un ricanement sinistre.
- Vers 1885, un vigneron de Saint Thomas de Connac rentrait chez lui à la nuit close. Il avait fort bien mangé et bu davantage. Comme il s'engageait sur "le Pont de la Pierre", une ganipote surgit à ses côtés et lui pris le bras. Très effrayé, il se débat, hurle, rien à faire. A l'approche des maisons elle desserre son étreinte, se change en agneau, puis... "il n'y eu bientôt sur la route qu'un tout petit enfant qui s'éloignait en pleurant".
Peut-on rapprocher ce dernier récit du bébé trouvé par une femme et qui s'alourdit (Joisten) voir de la jolie légende japonaise du Samouraï qui se retrouve aider à la naissance d'un bébé ?
Il y a aussi tout un chapitre sur les oiseaux nommés roitelets, "rois du monde" minuscules mais au poids énorme dit-on en France et Catalogne, ce qui a donné lieu à des rituels de transports de l'animal dans des charrettes tirées par quatre à huit, voir vingt-quatre boeufs...
Mais pourquoi le motif de la traversée du fleuve serait-il associé à celui du fardeau qui s'alourdit ? Jean Loïc le Quellec cite alors Henri Fromage (" Le thème folklorique de l'être porté", Tradition Wallone, 1993) qui, dit-il , aurait montré que les récits de galipote portent certainement le souvenir "laïcisé" d'un ancien rituel de portage, ou l'être porté est une femme-oiseau surnaturelle qui impose cette épreuve à un mortel qui finit par succomber sous la charge...
Bien sûr cela me fait penser à la peste qui se fait porter dans un récit breton de Anatole Le Braz.
Cliquez sur les liens (et les libellés) : il y en a décidément dans tous les sens...
Je pense n'avoir pas épuisé le contenu de l'article. Par exemple, les reproductions des sculptures sur les chapiteaux par l'auteur sont superbes. Allez-y voir vous même !
Merci, Monsieur Le Quellec.
Le jour où la conteuse que je suis a rencontré Saint Christophe dans La Légende Dorée de Jacques de Voragine, elle s'est retrouvée sur les traces d'un géant "de plus en plus fort" qui aboie, passe les rivières, et finit par porter un fardeau si lourd qu'il manque de se noyer...