C'est un récit de Daniel Faurie, celui qui nous documente régulièrement sur la Chapelle Saint Christophe de Lorient.
IL SUFFIT DE PASSER LE PONT
La fermeture était programmée pour le lendemain et c’était bien définitif la PASSERELLE, allait cesser d’exister. Il en va ainsi de bien des choses ! Quelques nostalgiques étaient sur les lieux arpentant l’endroit mythique. Cela se devinait dans leur regard quand on les croisait, cette intelligence de l’œil qui vous dit « on vit les mêmes instants historiques, pas vrai ? » Ici les gens n’engagent pas toujours le dialogue. J’étais à faire les dernières photos, riverain témoin et conscient de ce temps qui s’échappait juste sous mes fenêtres. Au dessous l’eau sombre remontait à gros bouillons vers St Christophe et le Parc à bois, poussée par la marée. Un petit mascaret d’opérette, et je me plaisais à me redire « l’eau ici à LORIENT passe toujours deux fois sous les ponts » Le soleil en était ce soir-là. C’est alors que je l'aperçus, la petite dame. J’étais sur la rive LANESTERIENNE. Pas de cerise sur son chapeau, mais un rouge à lèvres un peu tremblé, pour sortir au soir couchant. Et elle me parla, ELLE, sûrement pour justifier sa présence « je, j’habite quelques maisons plus haut le long de la voie... et c’est la première fois que je monte jusqu’ici… je voulais pas manquer ce moment… mais c’est dangereux »
- Dangereux en quoi ?
- Ben elle tremble la passerelle, et les cyclomoteurs passent à toute vitesse, et ma voisine dit…
- Oh quelques chenapans chahuteurs, et des amoureux qui reconduisent leur petite amie, rien de bien méchant.
ELLE osa tout de même mettre ses pieds sur la partie métallique… Stupéfait de l’entendre dire, « ma fille, elle habite, là dans le grand bâtiment de Chaigneau » « Ils viennent me chercher en voiture » La petite dame allait en voiture de l’autre côté du fleuve !! Et ben.
- Vous n’avez pas peur ? Alors c’est le moment où jamais, voulez vous traverser ? Et la vielle dame s’élance à mes cotés, confiante au point de regarder l’eau qui s’assombrissait car à présent le soleil n’était plus qu’un disque rougeoyant. Je lui fis traverser le Scorff, elle en était toute guillerette, y a t’il un âge pour vaincre sa peur ?
- Faut bien que je retourne, je peux le faire…
Dernière ou avant dernière passagère de cette passerelle, elle s’éloignait, de plus en plus petite, vers sa maison, savourant son exploit. Et moi le passeur que j’étais devenu, j’enrageais de ne plus avoir de pellicules, pour illustre mon futur récit qui germait dans mon esprit.
DANIEL FAURIE, Chronique des bords du Fleuve Avril 2001
La passerelle fut détruite en 2001, pour reconstruire le nouvel ouvrage ferroviaire. Elle avait été ajoutée en porte à faux au viaduc (où EIFFEL travailla) en 1911. 90 ans de service.