lundi 31 mai 2010

Trois rivières à traverser pour aller au Paradis : le sac d'argent, conte du Nivernais

Une fois n'est pas coutume, cet article est le presque jumeau de l'article que vous trouverez dans le blog "Charité Romaine". Dans le conte déniché par Bruno de la Salle (Rencontres des peuples dans le conte, Aschendorff Munster, 1961, p.37-41) pour le colloque "Que nous disent les contes" (Arts du récit en Isère 2010) je retrouve deux motifs qui m'intéressent:
-la traversée de fleuves comme pour la légende de Saint Christophe
-le regret de n'avoir pas bu le lait de la Vierge de la part du héros, sujet du blog "Charité romaine"...

Résumé de ce conte populaire (AT471) recueilli dans le Nivernais ( le texte intégral n'est plus disponible) avec les citations des passages qui concernent notre sujet : dans une famille très pauvre, la mère envoie l'aîné des 3 enfants chercher son pain. Il rencontre un homme qui lui propose de porter un message au père éternel contre un sac d'argent.Il prend le sac mais arrivé devant une rivière renonce à le traverser. Il ramène l'argent à sa mère et ne dit rien du message. Le 2ième veut y aller aussi... ramène le sac d'argent après avoir renoncé à traverser la rivière. Le 3ième part. Quand il croise l'homme, il lui dit de garder le sac d'argent jusqu'à ce qu'il revienne. Il trouve la rivière qui lui barre la route, il prie
L'eau se partage en deux et il se fait une petite sente, et il passe. Il marche, et trouve une autre rivière, blanche comme du lait; pris de peur il se remet à genoux, prie encore, il se forme à nouveau une petite sente, et il passe. Il marche toujours tout droit devant lui, quand pour la troisième fois une rivière l'arrête rouge comme le sang. Cette fois-ci, il a vraiment peur... Il s'agenouille à nouveau, prie le Bon dieu, et la petite sente se reforme encore. Il passe...
Il rencontre d'autres choses étranges et arrive au bout d'un jardin, devant un château où il reconnait celui qui lui a donné le message, le Père Eternel. Le Père Eternel lui explique ce qu'étaient les trois rivières. Pour la première :
Eh bien, quand tu l'as eu passée, tu n'étais plus au monde. C'est la séparation du Ciel et de la Terre
Pour la deuxième
C'était le lait de la sainte Vierge, dont elle nourrissait notre seigneur Jésus Christ qui nous a sauvé.
Et le garçon répond
Si je l'avais su, j'en aurais bu un bon coup.
Pour la troisième
C'était le sang de notre seigneur Jésus Christ qui a été répandu sur la terre pour sauver tous ceux qui le servent.
Et le garçon
Ah! Si j'avais su, je me serai lavé dedans.
... En bref, le garçon est tout de même arrivé au Paradis. C'est à dire qu'il est mort... Mais "bien" mort. Et il a porté un message dont nous ne saurons rien, sinon que ce message lui a permis de traverser rivières et mystères... Et même d'amener ses parents avec lui après les avoir "cueillis" au Purgatoire sous forme de roses.
Je vous vois déjà lever les yeux au ciel, pour ceux qui sont arrivés jusque là, or certaines versions "des petits enfants perdus dans la forêt" (Hansel et Gretel, le Petit Poucet) font traverser une rivière aux enfants, sur le chemin du retour vers la maison de leurs parents, quelques fois sur le dos d'un cygne, quelques fois sur un drap tendu par les lavandières...
Je me demande quelle est la couleur de la première rivière. Rien, n'est dit mais je la verrais bien noire. Et vous ?
Il s'agit d'un conte où l'emballage chrétien cache sans doute un fond plus ancien. L'enregistrement de l'intervention, remarquable, de Bruno de la Salle sur ce conte est en ligne : voici le lien avec le site du Centre des Arts du Récit en Isère. Ensuite il suffit de cliquer sur la rubrique "Colloque".