mercredi 30 avril 2008

La chasse du Roi Hérode traverse l'Ain

Voici un document que m'avait communiqué André Julliard pour la création d'une bande son pour le Musée Escale Haut Rhône .
Le mot "réprouvé" y est même prononcé pour nommer... celui qui est transporté par le passeur ! Il y a une inversion également en ce qui concerne les chiens. Pour l'indexation, j'ai confondu (provisoirement ?) Hérode avec le diable pour ne pas multiplier les libellés.

Sur la rivière d’Ain, hauteur d’Ambérieu-en-Bugey, témoignage de Cafi, pontonnier (1840) : MONNIER Désiré – Traditions populaires comparées. Mythologie. Règnes de l’air et de la terre, Paris, J.-B. Dumoulin, 1854
Il y a bien quatre-vingts ans que Cafi était pontonnier et le plus intéressant narrateur de Condes. Une nuit qu’il était couché, il est réveillé par les cris : « A la barque, à la barque ! ». La nuit était froide ; on était à la veille de la Fête des Rois, c’est-à-dire précisément au cœur de l’hiver. Il en coûtait au Cafi de se lever ; il aurait volontiers envoyé au Diable l’importun voyageur. Un sentiment d’humanité le rappelle bien vite à son devoir ; il s’habille à la hâte, court à la nacelle et traverse la rivière. Là, se trouvait un grand monsieur, couvert d’un grand chapeau, armé d’un grand fusil, suivi d’une grande meute. Le personnage entre dans le bateau, il y est suivi de ses chiens, qui chargent d’un poids énorme le frêle esquif. Ces quadrupèdes l’avaient déjà tout couvert, qu’il en sautait, sautait, sautait encore, sautait toujours, tant et si bien qu’ils passaient trois cents.
En mettant pied à terre, le généreux passager, désirant récompenser dignement le zèle et le bon cœur du pontonnier, lui remplit la main de pièces d’or. Mais quand l’honnête Cafi, de retour à sa maisonnette, voulut compter les louis qu’il avait reçus, il ne trouva plus dans son gousset que des feuilles de buis ! Il se souvint alors que c’était la veille des Rois et vit bien qu’il venait d’avoir affaire à ce réprouvé d’Hérode.

dimanche 20 avril 2008

Erasme, Holbein, Eloge de la Folie

"Je reconnais authentiquement de notre farine ceux qui se plaisent à écouter ou à conter de menson­gères et monstrueuses histoires de miracles. Ils ne se lassent point d’entendre ces fables énormes sur les fan­tômes, lémures et revenants, sur les esprits de l’Enfer et mille prodiges de ce genre. Plus le fait est invraisem­blable, plus ils s’empressent d’y croire et s’en chatouillent agréablement les oreilles. Ces récits, d’ailleurs, ne servent pas seulement à charmer l’ennui des heures ; ils produisent quelque profit, et tout au bénéfice des prêtres et des prédicateurs.

Bien voisins sont les gens qui, par une folle mais douce persuasion, se figurent que la rencontre d’une statue ou d’une peinture de ce Polyphème de saint Chris­tophe les assure de ne point mourir dans la journée, ceux qui adressent à sainte Barbe sculptée les paroles prescrites qui font revenir sain et sauf de la bataille, ceux qui s’adressent à saint Érasme à certains jours, avec certains petits cierges et certaines petites prières, convaincus qu'ils feront fortune promptement." Extrait de Eloge de la Folie d'Erasme (humaniste hollandais), 1511; Dessin de Hans Holbein.

Le fardeau qui s'alourdit

Un des motifs du "Réprouvé" qui m'intéresse est celui du fardeau qui s'alourdit... quitte à donner au moins envie de renoncer (voir "Celui qui a porté la peste" sur ses épaules de Anatole Le Braz), ou d'obliger à le faire sous peine de...

Dans la classification internationale des motifs narratifs (index) ça s'appelle
"Devil becomes heavier and heavier" sous le n° G 303 3 5 3
Je n'ai rien inventé : c'est tout écrit dans le livre "Êtres fantastiques, patrimoine narratif de l'Isère". Dans ce livre qui est le recueil des récits de croyance collectés par Charles Joisten dans le département d e l'Isère de 1950 à 1975, on ne trouve pas moins de 39 variantes autour de cette histoire.
J'en ai choisi quelques unes, dont celles qui sont situés dans des communes de St Christophe : la coïncidence est amusante, n'est ce pas ! Mais il y a une ou plusieurs variantes dans chacun des village que j'ai habité... et qui ne s'appelaient pas St Christophe.

A St Christophe en Oisans, c'est l'agneau qui se fait porter et qui s'alourdit.
"Mon grand père maternel, un nommé T. de St Christophe, revenait un soir du Bourg d'Oisans et, en passant aux Fontaines Bénites, il a trouvé sur la route un agneau qui portait la marque de sa famille. Croyant que l'agneau lui appartenait et qu'il s'était égaré, il l'a pris sur ses épaules. Mais à mesure qu'il approchait de la croix du Blanchet (ou du Comptoir), l'agneau devenait plus lourd. En arrivant à la Croix il l'a posé, et l'agneau a disparu. Chez lui , il ne manquait aucune bête au troupeau. Il a pensé que c'était la Mauvaise Part, le diable." Juin 1962.

A St Christophe sur Guiers :

"Un homme de St Christophe revenait de la foire d'Entre-deux-Guiers. Sur la route, il trouve un agneau et il l'a pris. Mais en arrivant chez lui, il était si lourd qu'il ne pouvait plus le porter. Alors il l'a mis par terre et il a dit :
- Bon Dieu ! C'est le diable !
Le diable lui a répondu :
- Bien sûr que je suis le diable ! ". Avril 1960.

Et puis en voici deux de Séchilienne, le petit chat noir qui se fait porter et s'alourdit :
"Un homme des Thiébauds revenait une nuit du marché de Vizille. Arrivé au lieu dit la Menière après les Rivoirands, il a trouvé un joli petit chat noir. Il l'a ramassé et plus il montait, plus le chat devenait lourd. Arrivé au Clos de la Chèvre, l'animal lui a dit :
- Rapporte moi où tu m'as pris ou tu meurs cette nuit !
Il l'a déposé par terre et il est rentré chez lui; mais dans la nuit, il est mort de frayeur. C'était le foulaton, le diable."Août 1959
" Une femme de la Bathie qui revenait du marché, à Vizille, avait trouvé un joli chat noir, après les Rivoirands, dans le chemin. Elle l'avait pris et à mesure qu'il montait, le chat devenait lourd. Et des pierres grosses comme le bras tombaient autour d'elle. Elle avait dû rapporter le chat où elle l'avait pris; c'était le foulaton". Août 1959

Merci à Alice Joisten qui m'a mise sur la piste !

mercredi 16 avril 2008

Jacques de Voragine et la Légende Dorée

Jacques de Voragine, né entre 1225 et 1230 et mort en 1298 est l'auteur de la Légende dorée (composée avant 1264) qui est une référence obligée quand on s'intéresse aux "saints".
Il était dominicain, professeur de théologie et archevêque de Gênes. Il a exercé d'autres fonctions importantes comme Provincial de Lombardie, ambassadeur...
Sûr que ses objectifs lorsqu'il écrit la Légende dorée ne sont pas les miens lorsque je raconte le Réprouvé.
En effet "Légende "dit l'introduction, écrite par Hervé Savon dans l'édition Flammarion que j'ai répertoriée en bibliographie, "ne signifie pas ici conte ou récit fabuleux mais simplement ce qui doit être lu. L'épithète "dorée" ou plutôt "d'or", n'évoque pas les embellissements fallacieux de l'imagination mais annonce le poids et la valeur du contenu."
D'autre part Hervé Savon déclare "Les évènements passés dont il leur parle, il ne les prends ni pour des arguments, ni pour des preuves, il les traite comme la manifestation extérieure d'une réalité spirituelle" et "Le vrai sujet de la Légende dorée est le conflit dont Dieu et l'Esprit du mal sont les protagonistes et dont l'homme est à la fois le terrain, l'enjeu et l'acteur, subordonné sans doute mais irremplaçable "
Et encore (et c'est pourquoi, à moi, il me semble irremplaçable) :
"Ce sont bien souvent ces récits recueillis par Jacques de Voragine qui nous livrent la signification d'un vitrail, d'un retable ou d'une statue ".
Cette légende dorée c'est aussi une somme de motifs, d'images et de structures, que , mine de rien, les conteurs "laïcs" d'aujourd'hui utilisent toujours. La littérature populaire s'en est abreuvée, juste retour des choses, puisque Jacques de Voragine répète à de nombreuses reprises qu'il rapporte des récits populaires même s'il en fait ensuite la critique.

lundi 14 avril 2008

St Christophe dans la Légende Dorée

Voici le texte intégral, traduit du latin, du texte de Jacques de Voragine concernant la première partie de la vie du Réprouvé, jusqu'à ce qu'il change de nom... Merci aux Bénédictins qui l'ont numérisé... C'est un peu long mais c'est la source essentielle.


"Christophe, avant son baptême, se nommait Réprouvé, mais dans la suite il fut appelé Christophe, comme si on disait : qui porte le Christ, parce qu'il porta le Christ en quatre manières: sur ses épaules, pour le faire passer; dans son corps, par la macération; dans son coeur, par la dévotion et sur les lèvres, parla confession ou prédication.

Christophe était Chananéen; il avait une taille gigantesque, un aspect terrible, et douze coudées de haut: D'après ce qu'on lit eu ses actes, un jour qu'il se trouvait auprès d'un roi desChananéens, il lui vint à l’esprit de. chercher, quel était le plus grand prince du monde, et de demeurer près de lui. Il se présenta chez un roi très puissant qui avait partout la réputation de (284 )n'avoir point d'égal en grandeur. Ce roi en le voyant l’accueillit avec bonté et le fit rester à sa cour. Or, un jour, un jongleur chantait en présence du roi une chanson oit revenait souvent le nom du diable ; le roi, qui était chrétien, chaque fois qu'il entendait prononcer le nom de quelque diable, faisait de suite le signe de croix sur. sa figure. Christophe, qui remarqua cela, était fort étonné de cette action, et de ce que signifiait un pareil acte. Il interrogea le roi à ce sujet et celui-ci ne voulant pas le lui découvrir, Christophe ajouta : « Si vous ne me le dites, je ne resterai pas plus longtemps avec vous. » C'est pourquoi le roi fut contraint de lui dire : « Je me munis de ce signe, quelque diable que j'entende nommer, dans la crainte qu'il ne prenne pouvoir sur moi et ne me nuise. » Christophe lui répondit : « Si vous craignez que le diable ne vous nuise, il est évidemment plus grand et plus puissant que vous ; la preuve en est que vous en avez une terrible frayeur. Je suis donc bien déçu dans mon attente ; je pensais avoir trouvé le, plus grand et le plus puissant seigneur du monde ; mais maintenant je vous fais mes adieux, car je veux chercher le diable lui-même, afin de le prendre pour mon maître et devenir son serviteur. » Il quitta ce roi et se mit en devoir de chercher le diable. Or, comme il marchait au milieu d'un désert, il vit une grande multitude de soldats, dont l’un, à l’aspect féroce et terrible, vint vers lui et lui demanda où il allait. Christophe lui répondit: «Je vais chercher le seigneur diable, afin de le prendre pour maître et seigneur. » Celui-ci lui dit: « Je suis celui que tu cherches. » Christophe tout réjoui s'engagea pour être son (285) serviteur à toujours et le prit pour son seigneur. Or, comme ils marchaient ensemble, ils rencontrèrent une croix élevée sur un chemin public. Aussitôt que le diable eut aperçu cette croix, il fut effrayé, prit la fuite et, quittant le chemin, il conduisit Christophe à travers un terrain à l’écart et raboteux, ensuite il le ramena sur la route. Christophe émerveillé de voir cela lui demanda pourquoi il avait manifesté tant de crainte, lorsqu'il quitta la voie ordinaire, pour faire un détour, et le ramener ensuite dans le chemin: Le diable ne voulant absolument pas lui en donner le motif, Christophe dit : « Si vous ne me l’indiquez, je vous quitte à l’instant. » Le diable fut forcé de lui dire : « Un homme qui s'appelle Christ fut attaché à la croix; dès que j e vois l’image de sa croix, j'entre dans une grande peur, et m’enfuis effrayé. » Christophe lui dit : « Donc ce Christ est plus grand et plus puissant que toi, puisque tu as une si brande frayeur en voyant l’image de sa croix? J'ai donc travaillé en vain, et n'ai pas encore trouvé le plus grand prince- du monde. Adieu maintenant, je veux te quitter et chercher ce Christ. »

Il chercha longtemps quelqu'un qui lui donnât des renseignements sur le Christ; enfin il rencontra un ermite qui lui prêcha J.-C. et qui l’instruisit soigneusement de la foi. L'ermite dit à Christophe : « Ce roi que tu désires servir réclame cette soumission : c'est qu'il te faudra jeûner souvent.» Christophe lui répondit : « Qu'il me demande autre chose, parce qu'il m’est absolument impossible de faire cela. » « Il te faudra encore, reprend l’ermite, lui adresser des prières. » « Je ne sais ce que s'est, répondit Christophe, et je ne (286) puis me soumettre à cette exigence.» L'ermite lui dit: « Connais-tu tel fleuve où bien des passants sont en péril de perdre la vie? » « Oui, dit Christophe. L'ermite reprit: « Comme tu as une haute stature et que tu es fort robuste, si tu restais auprès de ce fleuve, et si tu passais tous ceux qui surviennent, tu ferais quelque chose de très agréable au roi J.-C. que tu désires servir, et j'espère qu'il se manifesterait à toi en ce lieu. » Christophe lui dit ; « Oui, je puis bien remplir cet office, et je promets que je m’en acquitterai pour lui. » Il alla donc au fleuve dont il était question, et s'y construisit un petit logement. Il portait à la main au lieu de bâton une perche avec laquelle il se maintenait dans l’eau ; et il passait. sans relâche tous les voyageurs. Bien des jours s'étaient écoulés, quand, une fois qu'il se reposait dans sa petite maison, il entendit la voix d'un petit enfant qui l’appelait en disant: « Christophe, viens dehors et passe-moi. » Christophe se leva de suite, mais ne trouva personne. Rentré chez soi, il entendit la même voix qui l’appelait. Il courut de,lors de nouveau et ne trouva personne. Une troisième fois il fut appelé comme auparavant, sortit et trouva sur la rive du fleuve un enfant qui le pria instamment de le passer. Christophe leva donc l’enfant sur ses épaules, prit son bâton et entra dans le fleuve pour le traverser. Et voici que l’eau du fleuve se gonflait peu à peu, l’enfant lui pesait comme une masse de plomb ; il avançait, et l’eau gonflait toujours, l’enfant écrasait de plus en plus les épaules de Christophe d'un poids intolérable, de sorte que celui-ci se trouvait dans de grandes angoisses et, craignait de périr. (287) Il échappa à grand peine. Quand il eut franchi la rivière, il déposa l’enfant sur la rive et lui dit : Enfant, tu m’as exposé à un grand danger, et tu m’as tant pesé que si j'avais eu le monde entier sur moi, je ne sais si j'aurais eu plus lourda porter. » L'enfant lui répondit : « Ne t'en étonne pas, Christophe, tu n'as pas eu seulement tout le monde sur toi, mais tu as porté sur les épaules celui qui a créé le monde : car je suis le Christ ton roi, , auquel tu as en cela rendu service; et pour te prouver que je dis la vérité, quand tu seras repassé, enfonce ton bâton en terre vis-à-vis ta petite maison, et le matin tu verras qu'il a. fleuri et porté des fruits, » A l’instant il disparut. En arrivant, Christophe ficha. donc son bâton en terre, et quand il se leva le matin, il trouva que sa perche avait poussé des feuilles, et des dattes comme un palmier."

Pour la suite de la légende se référer au texte en livre ou en ligne...
La Légende dorée , nouvellement traduite en français, avec introduction, notes et notices sur les sources de L'ABBÉ J.-B. M. ROZE, Chanoine Honoraire de la cathédrale d'Amiens
ÉDOUARD ROUVEYRE, PARIS MDCCCCII
© Numérisation Abbaye Saint Benoît de Port-Valais en la fête de la chaire de Saint Pierre 22 février 2004

dimanche 13 avril 2008

Structure narrative, de plus en plus fort

La première partie de la Légende de St Christophe raconte la quête du Réprouvé : il veut se mettre au service du plus fort du monde. Ainsi il passe du roi au roi le plus puissant, puis au diable et enfin au Christ.
Il y a une cumulation ascendante des éléments rencontrés : une échelle.
Cette structure "verticale" rappelle fortement celle qui est définie dans le catalogue AArne et Thomson sous le numéro AT 2031 Stronger and Strongest.
Mais le AT 2031B (Abraham learns to worship God. At nightfall Abraham worships a star, then the moon, then the sun, and finally gives up idolatry) convient encore mieux !
Cette structure est souvent utilisée dans l'enseignement des religions monothéistes :
- "Un cabri que mon père avait acheté pour deux zouz " (rituel de la religion juive)
- "Les 10 ou 11 choses les plus fortes du monde" (récit populaire des Flandres)
- "La sourate 6" du Coran, (les bestiaux/le bétail) versets 74-79 dont voici le texte
74 (rappelle le moment) où Abraham dit à 'Azar, son père : "prends- tu des idoles comme divinités? Je te vois toi et ton peuple dans un égarement évident!"
75 Ainsi avons- Nous montré à Abraham le royaume des cieux et de la terre afin qu'il fut de ceux qui croient avec conviction.
76 Quand la nuit l'enveloppa, il observa une étoile , et dit : " voilà mon Seigneur!" Puis lorsqu'elle disparut, il dit "Je n'aime pas les choses qui disparaissent".
77 Lorsqu'ensuite il observa la lune se levant, il dit "voilà mon Seigneur!" puis lorsqu'elle disparut, il dit :"si mon Seigneur ne me guide pas, je serai certes du nombre des gens égarés".
78 Lorsqu'ensuite il observa le soleil levant, il dit : " voilà mon Seigneur! Celui ci est plus grand" puis lorsque le soleil disparut, il dit : "O mon peuple, je désavoue tout ce que vous associez à Allah.
79 Je tourne mon visage exclusivement vers Celui qui a créé (à partir du néant) les cieux et la terre; et je ne suis point de ceux qui lui donnent des associés."

Dans les religions polythéistes et dans les récits populaires sans connotation religieuse, c'est, à partir du même point de départ, "la recherche du plus fort", un voyage généralement circulaire qui s'effectue. Exemple : à force de vouloir le plus puissant du monde comme époux pour sa fille souris, le père passe du soleil au nuage, du nuage au vent, du vent à la tour et de la tour au souriceau qui la ronge . Ou encore, le fils de mineur qui veut être le plus fort du monde redevient finalement mineur après avoir été soleil, nuage et montagne.

Dans le jargon des "conteurs contemporains", nous appelons ce genre de récits des randonnées... La promenade continue !

Celui qui porta la peste sur les épaules

Dans " La Légende de la Mort chez les Bretons Armoricains" de Anatole Le Braz, 1922

"Un vieux de Plestin, la rencontra un soir sur les bords du Douron. Elle était assise sur la berge, regardant l'eau couler. Elle venait de Lanmeur qu'elle avait dépeuplé et se rendait dans le pays de Lannion.
- Hé vieux! cria-t-elle, auriez vous l'obligeance de me prendre sur vos épaules pour me faire passer l'eau ? Je vous en récompenserais bien.
Le vieux qui ne la connaissais pas y consentit.
L'ayant chargée sur ses épaules, il entra dans la rivière. Mais, à mesure qu'il avançait, il la sentait peser sur lui d'un poids plus lourd.
A la fin, épuisé, le courant étant très fort, il dit :
- Ma foi, bonne dame, je vais vous planter là. Je ne tiens pas à me noyer pour vous.
- De grâce, ne fais pas cela. Ramène moi plutôt à l'endroit où tu m'as prise.
- Soit.
Et il rebroussa chemin, sans trop de peine, son fardeau s'allégeant à mesure qu'il se rapprochait du rivage.
Le pays de Lannion fut ainsi préservé de la peste.
Mais si le vieux avait laissé tomber la vilaine groach (fée) au beau milieu de la rivière, comme il en avait d'abord eu l'intention, le monde eût été débarassé d'elle à jamais."
Raconté par le père de Anatole Le Braz.

Quand Gargantua porte le Christ

Récit collecté par Charles Joisten en 1951 à St Véran, Hautes Alpes. Voir Bibliographie.

" Ce Gargantua était si fort qu'il se tenait près d'une grande rivière et qu'il transportait les gens d'une rive à l'autre. Un jour il arrive un enfant au bord de la rivière, qui lui demande s'il pouvait le faire passer. Il répond : "Bien sûr, je te passe". Quand il l'eut sur les épaules, il le sentit tellement lourd qu'il s'arracha un arbre pour en faire un bâton (une canne). Ayant passé la rivière, il pose l'enfant et lui dit : 'Tu es bien petit, mais bien pesant - Oui je pèse, dit l'enfant parce que je porte le monde entier !" C'était le Bon Dieu."

En relisant ce récit, je suis un peu déçue que la rivière ne soit pas nommée : j'avais vu la Durance. J'imagine que si, à St Véran, Gargantua a résisté à St Christophe c'est parce qu'on est en pays catholique et protestant.

Saint Christophe, le passeur de l'eau

Court extrait d'une page personnelle internet de G.Bertin, Angers, 1999.

Cette page dont le contenu est très intéressant est aujourd'hui inaccessible. Je ne connais pas l'auteur mais j'aimerais retrouver un lien actif...

La légende.
Martyr en Lycie, en 250, saint Christophe est fêté le 25 Juillet où il voisine St Jacques également fêté à cette date (St Christophe est aussi de nos jours fêté le 24 ou parfois le 21). Fouetté sous l'empereur Déce par des verges de fer, il fut préservé de la violence du feu par la puissance de Jésus Christ. et fut enfin décapité. Il est aussi fêté en Grèce le 9 mai.
Christophe, originaire de Syrie était un géant (sa taille atteignait les 9 mètres), son nom primitif était Offerus ou Offro, Adokimus ou encore Reprobus qui passait pour avoir la capacité de faire le tour de la terre en 24 enjambées.
Il voulut connaître le prince le plus puissant de la terre pour se mettre à son service. Le premier était terrorisé par Satan, aussi Reprobus se mit au service de ce dernier jusqu'à ce qu'il comprenne que le diable lui-même avait peur de la vue d'une croix. Il quitta donc son service. Après une période d'errance, il rencontra un ermite du nom de Babylas qui le convertit et lui proposa un emploi de passeur sur une torrent impétueux. Il semble dans l'imagerie populaire rester un peu sot, à tel point que l'ermite doit lui éclairer la "bonne route" avec une lanterne. Belle imagerie de la christianisation du géant primitif, de la sauvagerie par la lumière de la foi.
Alors qu'il accomplissait sa tâche, un enfant arrive qui sollicite le passage, il le charge sur ses épaules et commence à le transporter de l'autre côté du courant. Plus il avance, plus l'enfant s'alourdit, Christophe ploie sous la charge "je croyais porter le monde entier" dit-il à l'enfant parvenu de l'autre côté, "tu le portais, répond l'enfant, je suis le Christ".
Plusieurs dictons populaires le célèbrent:

"Pluie violente à la saint Christophe, mène à la catastrophe".

"Si vous avez vu saint Christophe, ne craignez nulle catastrophe".

"Qui voit saint Christophe en passant, ne mourra pas de mort subite, je dis son image bénite tant sur le diable il est puissant".

St Christophe de la Tour du Meix (39)

Les photos de ce message sont les cartes postales en vente sur place en juillet 2006.




samedi 12 avril 2008

St Antoine l'Abbaye (38), 2005

Cet hiver 2005, il fait un froid glacial dans l'église de St Antoine l'Abbaye (38) et la fresque n'est pas assez éclairée pour que je la photographie.
En juin, avec Bernadette, la lumière est bonne. Il fait bon dans l'église et la photo est douce.

Encens, Marseille 2004

A Marseille, le 6 mai 2004, je ne trouve pas trace de St Christophe à Notre Dame de la Garde... Les travaux de réfection de la Basilique sont terminés et quand on sort sur le parvis, on est au ciel...
Mais, sur la Cannebière, dans un magasin asiatique, ils vendent de l'encens pour les saints et il y a
San Cristobal, dont ils donnent la fête le 10 juillet.
Je suis née un 10 juillet.
C'est de l'encens parfumé à l'iris. Made in Barcelone avec le sigle Accion Sanitaria y Desarollo Social ? ?

Albertville (73), cité de Conflant

Le 20 décembre 2001, dans la Maison Rouge de la Cité de Conflans je propose mon spectacle "Histoires Fantastiques des Alpes. Ma loge de conteuse est dans la salle du Musée où sont exposés les statues des Saints dont un beau Saint Christophe qui a perdu son bâton... Je suis émue et honorée de côtoyer des êtres aussi chargés.
Il y a aussi un St Jean Népomucène, évêque qui fut noyé par son Roi car il avait refusé de lui dire ce que la reine lui avait confessé : c'est une belle statue en bois avec un habit en dentelle de bois.

Hans Memling, Triptyque Moreel, 1484, Musée Groeninge, Bruges

Je suis allée à Bruges, il y a très longtemps et je n'avais pas vu ce tableau dont j'ai trouvé la reproduction sur internet à l'adresse ci dessous.
Pour une explication sur ce triptyque où le Réprouvé n'a rien d'un géant mais où il est quand même le personnage central (il est entouré des deux saints bénédictins St Maur, avec le livre, et St Gilles, avec la biche, de toute la famille Moreel accompagnée des saints protecteurs des parents), cliquez sur la page de la visite des Musées de Bruges avec l'association Convivialité en Flandre, dans un site très pédagogique


Et voici un autre St Christophe, d'une dimension plus modeste (17cm) et conservé aux Etats Unis :

vendredi 11 avril 2008

Villard St Christophe (38), le 21 février 2004






Chapelle St Christophe de Pâquier (38)

C'est sur la commune de St Martin de la Cluze (38), au dessus du Drac.

Printemps 2003



Mai 2006
Pour le printemps des Musées, je suis invitée par le Musée Gilioli de Saint Martin de la Cluze à raconter "les gués fantastiques", récital de contes et légendes où il y a, bien sûr, ma version du Réprouvé.
Le lieu choisi, c'est la chapelle St Christophe...
La chapelle est ouverte comme toujours l'été. Le sol est en pente douce. Elle est presque vide. Il n'y a pas de statue de St Christophe, ni trace de sa présence à part le Drac, tout en bas. Le Drac qu'on m'a dit avoir été traversé au début du siècle au moyen d'un câble...
L'acoustique est un peu résonnante, alors, comme il fait beau, je choisi de raconter dehors, sur l'esplanade de ce que j'imagine avoir été le jardin du curé.
Albert, habitant de St Martin de la Cluse, que je connais un peu depuis qu'il m'a raconté des souvenirs d'enfance pour "Un hiver en Trièves", nous montre les ruines de la cure, l'emplacement du puits et la trace d'un carcan, (trou dans la roche) pour attacher les bêtes. Il dit que l'église a été un temps consacrée à St Jacques (comme Echirolles) mais qu'ils sont revenus à St Christophe.
Les gens du village aiment ce lieu. Ils viennent juste pour le plaisir d'y être.
Les pivoines dans le cimetière sont magnifiques. Après le spectacle où je raconte aussi Cafi le pontonnier de l'Ain et le batelier du Léman (l'origine du noyer), je n'arrive plus à partir...

St Sorlin en Bugey (01), le 19 décembre 2003


Pour en savoir plus sur la fresque de Sy Sorlin en Bugey, allez voir l'article sur la xylographie de Buxheim... Jusqu'à 1860, le Rhône était la frontière entre la Savoie et la France... Vous avez dit passeur ?

Le Réprouvé, adaptation personnelle

Voici donc mon adaptation de la Légende de Saint Christophe, ou du moins du début de cette légende, telle que je la raconte, à l'occasion en public...

Il venait d’un pays de chien, quand il parlait, il aboyait.

Il était si fort que pour se faire un bâton de marche il arrachait un arbre. On l’appelait le Réprouvé mais, il était si fort, que tout le monde le voulait à son service.

Lui, il avait décidé qu’il ne rentrerait au service que du plus puissant du monde. Il est parti à sa recherche.

Il a marché et il a trouvé une ville dont le roi était le plus puissant des rois. Il est entré à son service et il l’a servi de toute sa force, de tout son cœur et de tout son courage. Un troubadour est venu à la cour. Il a chanté et à certains mots qu’il chantait le réprouvé a vu que le roi le plus puissant des rois faisait de drôle de signes en se reculant d’un air effrayé. Le Réprouvé a interrogé le roi : tu as eu peur, non a répondu le roi. Pourquoi as tu fais ses signes ? Ah, ceux là, mais c’est pour conjurer le diable… Tu n’es pas le plus puissant et moi je veux servir le plus puissant !

Le réprouvé est parti à la recherche du diable : il était juste derrière la porte ; il est entré à son service et l’a servi de tout son cœur et de tout son courage. Un jour qu’il le suivait sur une large route bien commode le Réprouvé a vu le diable faire un bon de côté dans les épines, et effectuer un grand détour pour revenir sur la route un peu plus loin. Tu as eu peur ? Moi, non. Pourquoi ce détour ? Ah, ça c’est à cause de la croix. Là où est la croix, il y a le Christ et je ne peux y être. Tu as eu peur, tu n’es pas le plus fort.

Le Réprouvé est parti, il a cherché le Christ. Il n’était pas derrière la porte, il a marché cherché et il a trouvé un vieil ermite qui en savait un peu plus long. L’ermite lui a dit que pour trouver, il fallait prier. J’ai servi le roi le plus puissant des rois, le diable mais je ne sais pas prier. Alors il faut jeûner. Ça je ne peux pas a dit le réprouvé. Alors, a dit l’ermite, puisque tu es fort, installe-toi près de ce fleuve et aide à faire passer les voyageurs.

Il a construit sa cabane et il a mis toute sa force son cœur et son courage pour faire passer le gué à ceux qui se présentaient.

Une nuit il a entendu une voix qui l’appelait, il est sorti n’a vu personne. La voix l’a rappelé. Il est sorti, rien. Une 3ième fois il l’a entendue et là il a vu d’où ça venait. Juste devant lui un tout petit enfant.

L’enfant a dit aide-moi à passer le fleuve. Le réprouvé s’est baissé, l’a pris sur son épaule, a saisi son bâton et s’est avancé vers le fleuve. Quand il est entré dans l’eau, tout d’un coup il a senti le poids de l’enfant, il était étonné, un si petit être. Il a continué d’avancer, l’enfant devenait lourd. L’eau montait, il s’est cramponné à son bâton, l’enfant était de plus en plus lourd, le Réprouvé vacillait sous le poids et le courant, il a cru que jamais il n’atteindrait la rive. Il est sorti de l’eau avec sur les épaules ce poids énorme. Il a déposé le petit enfant sur le sol et a dit à l’enfant : tu pèses. L’enfant a répondu : c’est sûr, je suis le Christ et c’est moi qui porte le monde. Si tu ne me crois pas, une fois rentré chez toi plante ton bâton et tu verras.

Le réprouvé a retraversé le fleuve, planté son bâton de marche. Le lendemain le bâton portait des fleurs et des fruits. C’est ce jour là que le Réprouvé a changé de nom : il est devenu Christophe, celui qui porte le Christ …

La suite de son histoire, il ne faut pas compter sur moi pour vous la raconter… Car la suite ne m'intéresse pas du moins telle que je l'ai lue dans la Légende dorée de Jacques de Voragine.